Le cinéma coréen connaît un nouveau soubresaut avec la sortie de « Eolgul » (Visage), le dernier film du réalisateur Yeon Sang-ho. Porté par l’acteur Park Jeong-min, le long-métrage a réussi à détrôner le phénomène de l’animation japonaise, « Demon Slayer: Infinity Castle », s’emparant de la première place du box-office dès son premier jour d’exploitation. Une performance notable, bien que la compétition du week-end s’annonce particulièrement féroce.
Une compétition serrée pour la première place
Le 11 septembre, « Eolgul » a attiré 35 020 spectateurs, se hissant en tête du classement. Il est suivi de très près par « Demon Slayer: Infinity Castle », qui a enregistré 33 828 entrées le même jour, le reléguant à la deuxième place pour la première fois depuis sa sortie le 22 août dernier. Malgré ce succès initial, la victoire de « Eolgul » n’est pas encore assurée. En effet, les préventes de billets pour le week-end montrent une tendance inverse : « Demon Slayer » cumule environ 131 000 réservations, contre seulement 44 000 pour le film coréen. La bataille pour le sommet du box-office reste donc entièrement ouverte.
Une mystérieuse histoire de famille
Réalisé par Yeon Sang-ho, « Eolgul » est une adaptation de son propre roman graphique publié en 2018. Le film raconte l’histoire d’Im Yeong-gyu, un maître artisan aveugle qui crée les plus beaux sceaux du monde, et de son fils, Im Dong-hwan. Leur vie est bouleversée lorsqu’ils sont confrontés à la découverte des restes du squelette de la mère d’Im Dong-hwan, disparue quarante ans plus tôt. Le récit se déploie comme un thriller psychologique, cherchant à reconstituer le visage et l’histoire de cette femme, que ni son mari ni son fils n’ont réellement connue. L’acteur Park Jeong-min livre une performance remarquable en interprétant à la fois le fils, Dong-hwan, et son propre père, Im Yeong-gyu, dans sa jeunesse, tandis que Kwon Hae-hyo incarne le personnage du père plus âgé.
Un projet expérimental à faible budget
Au-delà de son intrigue, « Eolgul » se distingue par son modèle de production audacieux. À une époque où même des réalisateurs de renom comme Park Chan-wook évoquent la crise du cinéma, Yeon Sang-ho (« Dernier train pour Busan », « Hellbound ») a choisi de prendre le contre-pied des super-productions. Malgré un casting prestigieux, le film a été réalisé avec un budget de seulement 200 millions de wons (environ 140 000 euros). Le tournage a été bouclé en un temps record de trois semaines, soit 13 jours, ce qui représente environ un quart de la durée habituelle pour un long-métrage. L’équipe technique a été volontairement réduite à une vingtaine de personnes. Fait marquant, l’acteur principal, Park Jeong-min, a participé au projet sans percevoir de cachet, un geste qui a suscité l’admiration. « Sans diversifier les méthodes de production, il deviendra impossible de continuer à faire des films », a expliqué le réalisateur, soulignant la flexibilité et la richesse créative offertes paradoxalement par les contraintes d’un petit budget.
Thèmes profonds et allégorie de la Corée moderne
Le film est une œuvre sombre et dérangeante, fidèle au style des débuts de Yeon Sang-ho (« The King of Pigs », « The Fake »). Il interroge sans relâche les notions de beauté et de laideur. Alors qu’Im Dong-hwan enquête sur le passé de sa mère, les témoignages de ceux qui l’ont connue la décrivent comme une femme au physique repoussant, la qualifiant de « monstre » ou de « serpillère ». Le film pose une question essentielle : si un homme aveugle et une personne voyante partagent les mêmes critères de beauté, d’où vient réellement notre perception de l’esthétique ? Le contexte des ateliers de confection du quartier de Cheonggyecheon dans les années 1970 sert également d’allégorie à l’histoire moderne de la Corée du Sud. Le personnage du père, un « miracle vivant » ayant surmonté son handicap pour atteindre le succès, symbolise la croissance économique fulgurante du pays, une croissance souvent bâtie sur le sacrifice silencieux de figures oubliées, ici incarnées par cette mère au visage inconnu.
Surnommé le « prince de Netflix » pour ses collaborations successives avec la plateforme, Yeon Sang-ho semble, avec « Eolgul », effectuer un retour aux sources puissant et personnel. Il livre une œuvre dont la conclusion poignante laisse une impression durable, contrastant avec certaines de ses productions récentes parfois critiquées pour leurs fins jugées décevantes. Comme il le conclut lui-même : « Je ne pense pas que le cinéma se soit effondré, mais qu’il est en pleine mutation. Et un cinéma en mutation a besoin de films qui ont eux-mêmes changé. »